Russell Delman, le 28 Septembre 2016

Quand on est sur le chemin de la présence-conscience, découvrir qu'on est souvent absent est un grand défi. Quand on s'engage à être présent dans la vie, c'est décourageant, et même pénible, de découvrir à quel point on est inconscient.

Moi qui parcours ce chemin depuis plus de quarante ans, j’ai de bonnes nouvelles à vous donner. Ces bonnes nouvelles sont au nombre de quatre, et se recouvrent en partie.

Premièrement, être pleinement présent dans la vie ne nécessite pas une absence de pensée. Bien sûr, dans la méditation, il vient des moments plus longs de silence et d'espace. Pourtant, le cerveau va cracher des pensées, des sensations et des sentiments automatiquement, même quand l’environnement ne le réclame pas. C'est sa nature. Comme le célèbre maître Zen, Uchiyama Roshi, le dit : « Tout comme l’estomac sécrète de l’acide, le cerveau sécrète des pensées ». Ce n'est pas un problème, sauf si nous commençons à combattre les pensées ou si nous croyons qu’il ne faut avoir aucune pensée. Au fur et à mesure qu’on se met à accepter les créations amusantes, impertinentes et parfois spectaculaires du cortex cérébral, on se rend compte que la plupart de ces pensées surviennent au hasard et sont insignifiantes. Ensuite, parce que le champ de conscience n'est pas aplati mais profond, l'espace qui entoure chaque pensée devient de plus en plus apparent. Ainsi, même avec un esprit modérément occupé, nous pouvons nous reposer dans cet espace de l'Être que nous appelons présence-conscience. C'est un nectar précieux, un ressourcement profond.

Deuxièmement, la Méditation Incorporée, ou « simplement assis » (« shikantaza » en japonais), est un processus mystérieux. Elle transforme et développe notre présence-conscience naturelle, même lorsque les progrès semblent presque inexistants. Paradoxalement, la capacité de présence-conscience se développe en coulisses, sous la surface, inconsciemment - en dehors de la présence-conscience. La clé consiste à s’engager à suivre ce chemin, en particulier l'assise méditative. De plus, prendre de courts instants où l’on revient à soi-même, cinq à dix secondes ici et là, plusieurs fois par jour, a des effets étonnamment utiles au fil du temps. Ces effets restent souvent inaperçus, pourtant ils se produisent à chaque fois et on peut compter dessus.

Troisièmement, dans les pratiques « Embodied Life », en même temps que nous faisons l'expérience décevante de la fréquence de nos absences, nous renforçons notre engagement à pratiquer la bienveillance. Chaque moment est l'occasion d’une compassion inconditionnelle. Notre « moi historique », notre identité, adore juger, alors que la compassion inconditionnelle est l'expression de notre vraie nature. Pratiquer la bienveillance nous connecte à cette perception plus authentique de Soi. Cela signifie que l’intention d’accueillir chaleureusement tout ce qui advient, y compris nos jugements et nos réactions, dépasse toutes les frustrations et tous les sentiments de futilité. Accueillir ne veut pas dire aimer, accueillir ne veut pas dire qu’on rejette ses luttes intérieures – accueillir consiste plutôt à dire un immense « oui » à tout cela !

Par exemple, imaginez que dans un moment ordinaire ou dans la méditation, une pensée difficile vous a détourné de votre présence pendant un long moment. À l’instant où vous vous en rendez compte, il se peut que vous vous jugiez, de façon compulsive, ou que vous éprouviez même une forte réaction émotionnelle comme la colère ou la résignation. Quand nous pratiquons l’assise méditative, aussitôt que possible, nous prenons connaissance de tout cela avec bienveillance, à la fois envers notre état d'esprit et envers nos réactions à cet état d'esprit. Ainsi, la présence-conscience grandit et notre capacité à compatir s'élargit. Ces deux résultats sont positifs.

Quatrièmement, il y a une très bonne nouvelle : c’est une observation que j'appelle la surprise des 10 %. Voilà en quoi ça consiste : dès qu’on s'engage à suivre un chemin de présence-conscience, on commence à ressentir qu’on est encore plus inconscient qu’on ne l'aurait jamais pensé. Cela peut être démoralisant. On voit l'immensité de son inconscience et on se demande s'il est même possible de se réveiller d'une telle obscurité. La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas une équation linéaire : on n'a pas besoin d'un nombre égal de moments conscients pour compenser le nombre de périodes d'absence. Chaque moment de la présence-conscience a un impact considérable, disproportionné par rapport à sa durée dans le temps. En fait, si l'on peut s’éveiller un peu plus, même de quelques pourcents, l'effet sur notre vie est palpable. Si on va plus loin, une différence de 10% va créer un bouleversement sismique dans votre vie et dans la vie de tous les êtres que vous rencontrez. Quelle bonne nouvelle !

S'éveiller est un travail difficile – cependant, il est probable que pour la plupart des gens qui lisent ce texte, rester perdu dans des états d'esprit anciens et dans les habitudes de réagir ne constitue plus une alternative viable. Je vous encourage à vous pencher sur ces bonnes nouvelles à propos de la présence-conscience. C'est plus satisfaisant, plus joyeux, plus aimable et plus accessible que ce que l'on pourrait penser. Que tous mes vœux vous accompagnent dans ce voyage.